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Sébastien en Chine 劉子劍在中國
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23 mai 2014

Mi homme-mi animal, des sifflets pas comme les autres

Sébastien Roussillat

Parmi tous les objets artisanaux chinois, l’un des plus spéciaux que j’ai découvert sont les Ninigou, une sorte de jouet-sifflet aux formes très variées. 

Le tombeau de Taihao, rencontre avec Maître Xu

Après maintes péripéties, j’arrive enfin à Huaiyang, petite ville située à l’est de la province du Henan. C’est l’un des berceaux de la culture dite de la « plaine du centre ». En effet, dans cette petite ville de plaine pourtant pas très animée au cœur du centre chinois, se situe l’emplacement de la ville mythique du premier des trois empereurs légendaires, Fuxi. On y trouve le tombeau de Taihao, cet empereur qui aurait créé les Hommes. Au début de chaque année, se tient dans le temple, une foire artisanale à laquelle participe les artisans de la région. Au cours de ma promenade dans l’allée du temple entre les différents étals, j’aperçois sur un d’entre eux de petites figurines assez spéciales. J’engage la conversation avec le vendeur, un certain Maître Xu. Lorsque je demande à celui-ci s’il peut me présenter plus en détail ses statuettes, il me répond que ce sont des jouets. Il me propose d’aller chez lui le lendemain pour me montrer son atelier. J’accepte avec joie.

Le lendemain, je prend le taxi pour me rendre chez Maître Xu. Le chauffeur a du mal à trouver la maison. Je descends du taxi au bord d’une forêt de peupliers, je m’engage sur le chemin que Maître Xu m’a indiqué et découvre la maison de celui-ci. Dans la cour se trouve un monticule d’argile et de nombreuses bassines dans laquelle décante de l’argile. Maître Xu m’invite à m’assoir dans l’entrée de la maison, puis il commence à me présenter son travail. Maître Xu est le dépositaire d’une tradition vieille de huit générations, il a appris son art avec son grand-père. En 1994 il fut décoré par le bureau de l’industrie légère du Henan maître-artisan du Henan.

Statuettes totem, mi-humaines mi-animales

Les petites statuettes qu’il fabrique sont appellées Ninigou, cela signifie : chien en argile. Elles ne sont faites que dans la ville de Huaiyang, une fois par an et vendues uniquement dans la foire du temple de Fuxi à partir du deuxième jour du deuxième mois du calendrier chinois, jusqu'au troisième jour du mois suivant. Fuxi, que l'on appelle aussi Taihao est le dieu qui aurait crée l'humanité avec sa sœur Nvwa. Maître Xu m'a fait remarquer quelque chose d'extrêmement intéressant : Fuxi s'écrit 伏羲, le caractère 伏 est un idéogramme, il est composé de l'homme et du chien... Ce caractère explique peut-être la forme de ces figurines hybrides...

Fuxi et Nuwa sont frère et soeur, pas vraiment humains car ils possèdent un buste d'humain avec corps de serpent qui s'entrelacent comme on peut le voir sur des gravures anciennes. Fuxi possède même des cornes de bœuf !

Nuwa aurait ainsi utilisé de l'argile pour faire des hommes, mais elle aurait eu du mal au début, d'où les « bizarreries » des statuettes... Maître Xu plaisante en disant que ce sont des « ratés »... Selon la légende, lors d'une inondation, Fuxi et Nuwa auraient également été sauvés par une tortue sacrée. Ce qui explique cette statuette représentant Fuxi et Nvwa sur le dos de la tortue.

Les figurines qu’il fait montrent des animaux hybrides. Maître Xu m’explique que cela remonte peut-être à l’adoration de totems à la préhistoire représentant la procréation, le vœux d’avoir des enfants. Il n'existe pas de documents archéologiques concernant ces statuettes, on n'en a d'ailleurs jamais retrouvé. Comme elles ne sont pas cuites, elles s'abiment et se dissolvent dans la terre... mais on a retrouvé des Xun 埙 qui sont des instruments de musique antiques faits par les mêmes artisans dans des tombeaux de la période des Han vers 200 après J.– C. Maître Xu déclare que c'est la preuve scientifique la plus ancienne indirecte que l'on ait de la possible existence de ces statuettes à cette époque là, même si lui est sûr qu’elles datent d’une période bien antérieure. Selon lui, elles devraient dater de la période de la société matriarcale et de la période ou les accouplements par consanguinité existaient encore. Pour les Chinois, c'est la période avant la dynastie des Xia, soit il y a 6 000 ans. Il n'y a pas de contenu religieux ni supersticieux dans ces figurines, pas de procès particulier comme brûler de l'encens, ni faire des offrandes avant de les faire non plus... Les femmes comme les hommes peuvent faire ces figurines, mais en général ce sont les hommes qui s'occupent de former et les femmes de peindre.

Une imagination débordante

Il existe de 500 à 600 formes différentes, composées de tout ce qui existe comme animaux en Chine à peu près. Leur taille fait généralement la taille d'une main. La forme la plus courante étant le singe car similaire à celle de l'homme. Ce sont des statuettes dont la forme est plutôt abstraite, bizarre. Certaines possèdent une tête d'homme et un corps d'animaux, d'autres une tête d'animaux et un corps d'homme, d'autres une double tête, d'autres un corps de poisson et une tête de singe, d'autres un corps de chat et une tête de singe. Toutes ces formes sont issues de l'imagination du sculpteur et des formes traditionnelles transmises de génération en génération, mais aussi des animaux qui sont dans l'environnement immédiat de la population. La forme du chien existe depuis toujours car le chien protège la maison. Les signes astrologiques chinois font aussi parties des formes, mais pas souvent utilisés.
Les modèles les plus courants sont le singe à tête d'homme人面猴, le singe à double tête双面猴,l'hirondelle à tête de singe 猴头燕,le singe à corps de poisson 鱼身猴, le chat et le singe liés par le milieu 猫猴, le singe à tête d'homme avec des petits singes育子猴, le singe Yang 阳猴 (yang qui symbolise le masculin). Dans la majorité des statuettes, il y a un mâle et une femelle. Ces statuettes sont donc liées à un culte des appareils génitaux et représentent des accouplements. Lorsqu'il y a des petits singes, cela représente la reproduction ; lorsque le ventre du singe est gros, cela représente la gestation ; le singe-chat, et le singe à double tête, ainsi que le poisson à tête de singe représentent l'accouplement.  Pour ce qui est de l'hirondelle, monsieur Xu me dit que c'est une sorte de totem, parce que les hommes anciens voulaient voler.

Symbolique des couleurs  

Pour ce qui est des couleurs et des motifs sur les statuettes elles n'ont pas de signification réelles... Maître Xu dit qu'on peut essayer de relier les couleurs des cinq éléments aux couleurs utilisées, mais ce n'est pas évident. Il y a en général cinq couleurs : fond noir, blanc, jaune, rouge, bleu. De plus, les couleurs faites à partir de pigments et de colle préparées avec de la peau et de l'os peuvent changer en fonction de la préparation. Pour ce qui est des motifs, ce sont des motifs que l'on appelle wen纹, ils sont composés de traits et de points. Certains comme ceux sur le ventre du singe représentent un organe génital féminin, d'autres sont là juste pour décorer...

Ces statuettes sont faites à partir d'argile qu'on ne trouve qu'à l'est de Huaiyang, elle se trouve à un ou deux mètres de profondeur sous une couche de sable. Maitre Xu la fait venir lors de chantiers ou bien de creusage de puits. Elle est extrêmement fine, mais pas poreuse. Ce qui lui donne cet aspect lisse. Il la fait sécher au soleil, puis il enlève les impuretés à l'aide d'un tamis. Il la laisse ensuite décanter dans l'eau, puis la pose sur le sol en brique de sa cour pour qu'il absorbe l'eau. Il la travaille ensuite avant de la mettre dans des sacs. Il forme les figurines à la main, parfois à l'aide d'un moule, notamment celles plutôt plates. Les rainures sur le ventre des singes sont creusées dans le moule. Ensuite il les fait sécher une semaine. Il les couvre ensuite de noir (encre de chine) puis il dessine à l'aide d'un calame les traits du visages, les yeux, le nez, les oreilles, les griffes, les moustaches avec le blanc, et ajoute les couleurs. Maître Xu fait des traits plutôt fins, assez travaillés, sa femme fait des traits plus bruts.

Jouets-sifflets

Les Ninigou sont en fait des sifflets que l’on peut aussi acheter pour les enfants. En effet, on trouve l’anse du sifflet sous la patte de l’animal. Leur fabrication ne coûte pas grand chose et ils ne sont pas faits pour durer, c’est pour cela que l’on en trouve peu dans les marchés ou les musées. Mais cette culture est toujours très vivante dans la région, car la foire du temple de Taihao est toujours visitée par beaucoup de Chinois venant parfois de très loin. Les statuettes de monsieur Xu, même si elles ne sont pas inscrites dans un programme de protection, sont collectionnées par des musées d’artisanat chinois un peu partout en Chine, et ont fait l’objet d’une recherche par une anthropologue française pour être ensuite exposées au musée de Tel Aviv dans le cadre d’une exposition sur les sifflets-jouets et présentées dans un livre sur les jouets artisanaux. Maître Xu fait partie d’une association de conservation de cet artisanat, mais reste réaliste sur la condition de celui-ci. « Ce n’est pas quelque chose dont on peut vraiment vivre, mon fils n’a pas non plus envie d’apprendre à faire ces statuettes. On est quelques uns sur place à en faire, mais comme cela devient de plus en plus commercial, cela perd également de son “intériorité” et on est obligé de créer des statuettes qui n’existaient pas dans la tradition pour survivre. Certaines sont pour les touristes et vraiment dénaturées. Les plus traditionelles, je ne les vends pas, car j’estime que les gens qui ne savent pas leur contenu culturel et symbolique n’ont pas la capacité d’estimer cet art. »

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