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Sébastien en Chine 劉子劍在中國
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26 août 2014

Une rentrée cinquantenaire

Il y a cinquante ans, les premiers élèves de la République populaire de Chine étaient arrivés en France. Un demi-siècle après, ils décident de faire un voyage souvenir et passent par Rennes, la première ville française après Paris à avoir reçu des étudiants de la RPC.

Lorsque je les rencontre pour la première fois, c’est à l’occasion d’une soirée donnée en février dernier par le Club France qui regroupe des anciens élèves chinois ayant fait leurs études dans l’Hexagone. Lors de cette soirée, beaucoup de têtes grises. Je sais que je vais les trouver ici. Moi-même Rennais, j’ai fait des recherches sur le site de l’INA l’année dernière et j’ai retrouvé plusieurs reportages datant de 1965, et 1967 où l’on voyait ces élèves chinois à Rennes pendant leurs études. Lors de la soirée, je scrute les horizons pour les retrouver, mais ils ont beaucoup changé depuis cinquante ans. Puis, lors des discours, un d’entre eux prend la parole, dans un français parfait, le meilleur des quatre personnes donnant les discours.

Une fois les discours terminés, je m’approche d’un petit monsieur accoudé à une table avec un verre de vin. Je lui demande de but en blanc : « Vous aussi, vous êtiez à Rennes dans les années 60 ? » Amusé, il me répond par l’affirmative. Je lui dis que je suis Rennais, il appelle alors ses anciens camarades en leur disant : « Un jeune Rennais voudrait nous parler ! »

S’engage alors une discussion très enthousiaste. L’impression que je garde de cette rencontre est leur dynamisme et leur joie de vivre. Ils sont surtout très heureux de m’apprendre qu’ils vont aller à Rennes en mai prochain et qu’ils ont écrit un livre sur leurs souvenirs en France. L’une de ces personnes : Mme Guo Lianlian me l’enverra quelques jours plus tard.

Une grande première

Il y a bientôt cinquante ans, ils étaient arrivés à Rennes. C’était en septembre 1965, un an et quelques mois seulement après la création des relations diplomatiques. En 1964, une directive gouvernementale concernant Pékin, Shanghai, le Hebei et le Jiangsu était tombée : « À propos de la sélection des bacheliers pour faire des études à l’étranger ». Voilà l’intitulé du document. Des bacheliers seront envoyés dans plusieurs pays, dont la France.

Ceux-ci sont recommandés par leur école avant le baccalauréat et passent quelques temps à Pékin pour étudier avant de partir. Ils visitent également des usines et des chantiers dans toute la Chine pour être capable de bien présenter leur pays à l’étranger. On leur offre les œuvres choisies de Mao Zedong et un dictionnaire chinois-français.

Ils prennent ensuite le Transsibérien en plusieurs groupes et arrivent à Paris. Ils sont 102 à partir en 1964, puis 80 ensuite en 1965, ce qui en fait donc presque 200. Parmi eux, des lycéens, des étudiants, certains assez âgés, et des « tuteurs » qui servent en fait de gardes pour éviter que certains ne soient tentés de céder aux sirènes du capitalisme.

À leur arrivée, la presse n’est pas très bienveillante à leur égard. Le Monde les décrit comme des « fourmis bleues » car tous habillés de la même couleur : le tissu pour leur costume avait été acheté en gros. Assez amusant quand on sait comme ce journal va soutenir la Révolution Culturelle -période d’uniformisation vestimentaire entre autres- par la suite.

Ils passent d’abord quelques mois dans une école de langue à Paris : l’école Lanco et l’Alliance Française, puis sont répartis à Rennes puis à Grenoble. D’autres resteront à Paris et feront leurs études à la Sorbonne.

On peut imaginer l’état d’esprit dans lequel ceux-ci sont lorsqu’ils arrivent en France : c’est une tâche historique et politique qui leur incombe. Mais pleine de dangers : pays capitaliste, espions, ennemis de la Chine. La situation économique de la Chine était loin d’être celle d’aujourd’hui. La situation politique l’était encore moins. Pour ces élèves, chaque minute compte, puisque leurs progrès en langue étrangère influenceront sur la politique étrangère et les échanges sino-étrangers à l’avenir. Leur comportement en France doit également être exemplaire pour ne pas créer de remous diplomatiques.

Arrivée à Rennes

Début septembre 1965, les élèves chinois arrivent à Rennes. L’université de Rennes présidée à l’époque par le recteur Le Moal, les acceuille par un dîner-réception.

Les élèves à Rennes sont logés, pour les filles, Rue de Fougères, les garçons, sur le campus Beaulieu. Ils ont cours de français, de géographie, d’histoire, de société et de littérature. « Nos professeurs nous disaient d’aller au cinéma et au café pour apprendre le français. Mais c’était inconcevable pour nous. », raconte M. Liu Jiaxiang. « On suivait alors les cours magistraux en plus de nos cours. Ça m’a beaucoup aidé pour mon apprentissage du français. », ajoute celui-ci.

Pour trouver des occasions de parler avec leurs camarades français, ceux-ci les invitent à venir dans leur chambre, leur servent des fruits, du thé. « On savait que les étudiants français aimaient aller au café mais cela nous était interdit, alors on trouvait d’autres moyens de discuter. En général on leur posait surtout des questions sur l’histoire, la culture française et le français»,décrit M. Liu.

Ils sortent très peu, ou en tous cas, jamais seuls. C’est l’ordre qui leur a été donné. L’époque est tendue. Il ne leur est pas interdit de parler avec leurs camarades français. Mais dans les souvenirs des étudiants français de l’époque, tel l’ancien maire de Rennes, Edmond Hervé par exemple, ceux-ci « se mélangeaient très peu aux autres élèves étrangers et sortaient toujours en groupe ». D’après Mme Gu Derong, c’était en partie parce qu’« on était sensés se protéger contre toutes les attaques “capitalistes” possibles. On vivait dans une espèce de paranoïa constante. » Mais ceux-ci répondent quand même présent à l’invitation de M. Stéphant alors en charge des élèves et passent le week-end chez lui. D’autres passeront Noël à Saint-Brieuc chez leur professeur de français, M.Mérien.

Au début de l’année 1966, ils organisent même, avec l’aide de l’ambassade de Chine, un visionnage du ballet « L’Orient est rouge » pour leurs camarades français dans la salle commune de l’université. Certains font une excursion au Mont Saint-Michel et à Saint-Malo pendant l’été.

Le grand tournant

1966 est l’année du centième anniversaire de la naissance de Sun Yat’sen, mais surtout l’année de la grande Révolution culturelle prolétarienne. C’est cet évènement historique qui va écourter leur séjour en France. En effet, ceux-ci seront rappelés au pays fin 1966. Au début de la Révolution culturelle, l’ambassade et le gouvernement chinois décident de laisser les étudiants continuer leurs études à l’étranger, malgré une diminution significative de leur bourse.

D’après Mme Ming Shucheng, de jeunes Françaises communistes étaient même venues les rencontrer pour apprendre le Maoisme avec eux. La vague de la Révolution culturelle était arrivée même jusqu’à Rennes ! « Elles ont essayé de nous envoyer des lettres après notre retour en Chine, mais on n’a plus eu de nouvelles. La situation politique étant compliquée, je pense que leurs lettres et mes lettres ont été interceptées. »

Un an après le début de la Révolution culturelle, les élèves chinois en France sont rappelés en Chine pour participer à ce grand mouvement. Aveuglés par ce mouvement excitant pour des jeunes de 20 ans, ils rentrent tous avec enthousiasme en Chine.

Retour à Rennes bientôt cinquante ans après

En mai dernier, un groupe d’une vingtaine de personnes âgées arrive à la gare de Rennes. En effet, lors de leur tournée en Europe, ils ont décidé d’y consacrer un jour. La plupart d’entre eux étaient d’ailleurs déjà revenus avant ce voyage. Pour leur retour, l’université de Rennes leur a organisé une visite souvenir; la mairie de Rennes une réception. L’Institut Confucius avait également préparé un évènement lors duquel le reportage sur leur séjour à Rennes dont j’avais parlé au début de cet article et que j’avais recommandé au directeur de l’Institut fut diffusé. Mais ce à quoi ne s’attendaient pas les anciens étudiants c’était de voir la vidéo du jour de leur départ. Dans cette vidéo, un des leurs explique, en brandissant le Petit Livre rouge, pourquoi ils rentrent en Chine. Cette vidéo a fait exploser de rire les Chinois présents, d’autant que le protagoniste était dans l’assistance ! Edmond Hervé me confiait l’année dernière qu’« ils étaient partis en nous traitant de “sales bourgeois” »... Comme me l’a confié Mme Guo Lianlian lors de notre entrevue à Pékin : « à l’époque, on ne se rendait pas compte de ce que c’était que ce mouvement, ni à quel point on était formaté. Avec le recul, c’est vraiment hilarant ! ».

Aujourd’hui, ce sont plus d’un millier d’étudiants chinois qui font leurs études à Rennes et dans le reste de la Bretagne. Ils sont plus de 30 000 à travers toute la France. Dur de faire la comparaison entre la nouvelle génération d’étudiants chinois présents actuellement en France et celle de ces pionniers aujourd’hui pour la plupart septuagénaires.

Les personnes citées dans cette article sont par la suite devenues professeur de français, traducteur-interprète ou encore directeur de l’agence de voyage CITC.

(Remerciements : Mmes Guo Lianlian, Cao Guiying, Wuyurong.)

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