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Sébastien en Chine 劉子劍在中國
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18 août 2014

Marguerite Duras et la Chine, une histoire d’amour.

Les livres de Marguerite Duras semblent être assez bien connus du public chinois. Évidemment, L’Amant, dont le personnage principal est un Chinois aisé relie la Chine à cet auteur dont les racines prennent de ce côté de la Terre. 

C’est à l’Institut Français de Chine (Beijing), réouvert il y a peu qu’ont eu lieu les célébrations pour l’ouverture du centenaire de Marguerite Duras. En juin dernier, deux invités de poids : Laure Adler, biographe et amie de Marguerite Duras et Jean-Jacques Annaud, cinéaste et réalisateur du film L’Amant ont été invités à partager leur connaissance de Marguerite Duras et de son œuvre. Un bon moyen pour les spectateurs chinois présents de découvrir un peu plus le monde de cet auteure dont tous les romans ont été traduits en chinois.

La discussion porta donc sur la relation entre Marguerite Duras et les deux invités, sur le tournage de L’Amant, la traduction des romans de Duras en chinois et la relation de l’auteur avec l’Asie. Ces célébrations étaient composées de deux évènements importants : la diffusion en public du film L’Amant après la discussion du vendredi et un colloque sur la traduction et l’écriture organisé par le Club Fu Lei le samedi.

On croise le fer

Pour commencer, Laure Adler, journaliste, amie et biographe de Marguerite Duras a fait l’exposé de sa rencontre avec celle-ci et de leur amitié qui dura plus de dix ans. Laure Adler s’est toujours intéressée à l’histoire des femmes, qu’elles soient « artistes, politiques ou prostitutées ». Marguerite Duras lui fit confiance. Laure Adler a raconté au début de la discussion qu’elle n’était pas une « durassienne » avant de la rencontrer. Au contraire, elle était, comme beaucoup de gens, excédée par « le mythe Marguerite Duras » : « J’avais des amis qui étaient capables de réciter des passages entiers de ses livres et qui parlaient de sa littérature de façon très prétentieuse. Je trouvais la réputation de Duras surfaite ». Comme beaucoup de personnes tombées dans Duras, c’est à la lecture d’un de ces romans, en l’occurence Barrages contre le Pacifique que la révélation a lieu. Laure Adler lui envoit une lettre, Marguerite Duras lui répond, l’invite à venir chez elle. « Elle n’était pas du tout comme on la décrit souvent : antipathique, fière, ou imbue d’elle même. Avec moi, elle était très simple, on mangeait dans sa cuisine. Cela arrivait qu’elle me téléphone en pleine nuit après la parution d’un de ses livres pour avoir mon avis, elle était très fragile et doutait constamment sur ses œuvres ».

Pour le réalisateur de L’Amant, la relation est plus compliquée. On a tous plus ou moins entendu parler de l’histoire du tournage de ce film. Jean-Jacques Annaud décrit au public chinois, une Marguerite Duras « contradictoire, séductrice et assassine ». D’après lui, « le rapport était d’une très, très grande violence ». « La bataille de L’Amant » était celle de la propriété artistique du film. Marguerite Duras avait obtenu le Prix Goncourt, elle était elle-même cinéaste. Elle avait ses propres vues sur comment devait être le film. « Elle voulait faire le film », déclare Jean-Jacques Annaud. À l’écoute du témoignage de ce dernier, on se rend compte que le choc des deux caractères devaient effectivement faire des étincelles. Elle n’était pas d’accord avec le scénario, lui ne voulait pas lâcher non plus, persuadé peut-être d’être meilleur réalisateur qu’elle. Il profite d’un passage de Marguerite Duras à l’hôpital pour refaire le scénario à son goût. Prête à tout pour empêcher le film de sortir, elle sera le seul auteur jusqu’à aujourd’hui à user du droit de morale. Elle recevra un dédommagement. Déçue par le film et traitant même la dernière scène “de merde”, elle refondra intégralement L’Amant sous la forme d’un roman-scénario : L’amant de la Chine du nord dans lequel la dernière scène du film n’apparaît plus et se termine dans le bateau du retour en France.

Visiblement en désaccord sur le personnage de Marguerite Duras, Laure Adler et Jean-Jacques Annaud n’en sont évidemment pas passés aux mains, mais on sentait que la discussion consistait plus en une prise de position face à ce que disait l’autre qu’un échange à proprement parler. Laure Adler protégeait son amie en expliquant le contexte : les problèmes de l’alcoolisme de Marguerite Duras, sa notoriété soudaine qu’elle gérait mal, ou encore les souvenirs difficiles que le film ramenait en elle. De l’autre côté, Jean-Jacques Annaud se plaignait de toutes les frasques et méchancetées que Marguerite Duras lui avait fait. On avait presque envie de le plaindre d’avoir connu un si gros succès avec cette réalisation ! Il a quand même eu la gentillesse de dire que si « c’était à refaire, je le referais ». Alors on est en droit de se demander s’il n’y a pas une part de masochisme chez lui, ou bien si c’est le succès assuré du film qui lui fait dire ça ? En tous cas, ce qui est sûr, c’est que 18 ans après sa disparition, Marguerite Duras fait toujours parler d’elle.

La langue de Duras

Et elle parle bien ! Tellement bien que la traduire en chinois peut parfois être assez difficile. D’où, le colloque du lendemain sur la traduction des œuvres de Duras. Alors pourquoi est-ce si compliqué à traduire ? Comme l’a expliqué Laure Adler, le style de Duras, notamment les œuvres après qu’elle ait commencé à écrire du théâtre et des scénarios, devient de plus en plus épuré et à double-sens. Elle appelle cela « la multiplicité des sens ». D’où la difficulté pour traduire ses œuvres en langue étrangère. La destructuration des phrases, du récit, des personnages ne facilitent pas la tâche, car il faut connaître le contexte pour traduire.

Lors d’une discussion avec Laure Adler à la fin de la conférence, je me permets de poser une question concernant le style de Duras que je trouve personnellement « très asiatique, presque chinois dans sa structure ». Celle-ci admet avec modestie qu’elle n’a pas assez étudié le vietnamien que Marguerite Duras parlait couramment, mais que cette dernière avait maintes fois reconnu que son style d’écriture était très influencé par cette langue. Les Chinois, dont l’idiome est très proche du vietnamien auraient-ils alors un certain avantage pour traduire Marguerite Duras ?

La poésie en prose, formule dont on qualifie souvent le style durassien : télégraphique, cru, déstructuré et qui laisse à deviner un sens caché s’apparente par certains côtés à la langue chinoise. Pourtant, lors de la discussion, M. Hu, spécialiste chinois de Marguerite Duras, donna un exemple difficile à traduire en chinois : « Son visage. Dévasté. ». Cette façon d’écrire l’a longtemps laissé perplexe. En effet, traduire cette phrase en chinois en gardant la ponctuation est impossible. Le participe passé « dévasté » utilisé seul rendrait cette phrase bancale, il manquerait un contexte. La ponctuation dans Duras est pareille à un soupir sur une partition. Comment faire pour garder le rythme et rendre la phrase compréhensible aux Chinois ? Là est un des problèmes de la traduction de Duras en chinois.

Pour Jia Yufen, professeur à l’université de Beijing et traductrice de Écrire, Été 80 , Pluie estivale,  un des problèmes rencontrés lors des traductions de Marguerite Duras est « la simplicité de son écriture, sa liberté, on dirait qu’il n’y a pas trop de recherche. C’est facile à lire, mais il reste toujours une sorte de résonance après la lecture. Elle est capable de relier des choses du monde par des mots très simples et exprimer quelque chose de très riche en même temps. »

Marguerite Duras et l’Asie

Lorsque l’on parle de Marguerite Duras, on pense souvent à une Indochine, plus largement une Asie surrannée, terre de désirs, d’amours voluptueuses. Elle est parfois vue comme une auteur « asiatisante ». C’est un rapport compliqué qu’a entretenu Marguerite Duras avec ce continent. Elle est née en Asie, mais dans une Indochine colonisée par les Français. D’après Laure Adler, elle avait une façon très asiatique d’apostropher les gens, d’être très directe, elle faisait de la cuisine vietnamienne, chinoise, elle mangeait beaucoup de riz, buvait sans arrêt du thé, mais après son départ d’Indochine, elle n’y est jamais retournée et n’a jamais émis l’idée d’y remettre les pieds. Elle était même procolonialiste et a travaillé au ministère des Colonies dans sa jeunesse, puis s’est engagée contre les colonies à l’époque de la guerre d’Algérie. La relation à cette histoire et à ce continent était très contradictoire.

Pourtant, le roman qui l’a rendu célèbre et fait passer dans le cercle des auteurs mondiaux est celui lié à l’Asie, Indochine française et la Chine évidemment : L’Amant et son « demi-frère » : L’amant de la Chine du nord précise encore plus la relation à l’Asie et à la Chine.

L’Amant est plus connu que le dernier, car adapté au cinéma. D’après Laure Adler, la répercussion qu’a obtenu ce roman vient en partie du fait que « c’est l’histoire d’une jeune occidentale avec un Chinois dans les années 20, alors qu’à l’époque, les Asiatiques étaient vus comme des sous-hommes par les Occidentaux. Le scandale de leur amour, cette relation si étrange et la façon dont elle la raconte, très en retenue, presque passée sous silence a attiré les gens. »

Marguerite Duras et les Chinois

Pour le centenaire de la naissance de Duras, la maison d’édition de la littérature traduite de Shanghai qui a publié la majorité des ouvrages de Duras va rééditer les 32 livres de leur collection. « Nous avons prévu de changer les couvertures des livres. Marguerite Duras est certainement l’écrivain moderne français qui a été traduit en chinois de la façon la plus complète. Pourtant, peu de gens ont lu plus de 5 de ses livres », explique Mme Ding, directrice des publications. L’auteur était resté inconnu pendant longtemps en Chine, comme au Vietnam pourtant là où se passe l’histoire et où elle est née.

Marguerite Duras n’a commencé à être connue en Chine qu’au début des années 80. Le premier roman d’elle qui a été traduit est sans surprise L’Amant. Pour expliquer la tardivité de la traduction des œuvres de Marguerite Duras en Chine, on peut invoquer la vision que pouvaient avoir les Chinois de son œuvre : écriture « bourgeoise », histoire « immorale », Indochine française, un riche chinois capitaliste etc... Mais les préjugés cèdent devant l’histoire : Duras n’a réellement été reconnue en tant qu’écrivain international qu’après le Prix Goncourt en 1984. Aujourd’hui, on trouve en Chine une dizaine d’éditions différentes de L’Amant et de ses autres livres, ceux-ci sont toujours placés parmi les meilleures ventes toujours d’après Mme Ding.

Laure Adler me dit qu’elle pense que si le livre plaît tant aux lecteurs chinois, « c’est aussi certainement parce que le protagoniste en est un Chinois. À l’époque, il était très mal vu pour une femme blanche d’avoir un amant asiatique. Le pire, c’est que sa situation sociale était beaucoup plus élevée que la famille de Marguerite Duras. Il les a, dans une certaine mesure, aidés à s’en sortir. L’imaginaire des Chinois doit jouer dans ce roman où ils se retrouvent. De plus, le Chinois du roman représente l’Asie à lui tout seul, et leur amour, l’amour à l’asiatique, avec tous ses non-dits, sa volupté. »

Pourtant pour Huang Hong, spécialiste de Duras, les lecteurs chinois ne connaissent toujours pas assez cet auteur. « Ils ne la connaissent en général que par L’Amant, Barrages contre le Pacifique, India Song, Le Vice-Consul. C’est une connaissance très incomplète que nous avons de Duras. Beaucoup d’auteurs féminins chinois s’inspirent de son style, ou parlent de Duras dans leurs livres. Mais très peu vont plus loin dans leur étude de cet auteur. Elles s’arrêtent à la forme et au côté eau-de-rose », déclare celle-ci.

J’ai procédé à un petit test sur mon compte Weibo ( équivalent chinois de Twitter ) pour voir combien de Chinois connaissaient Duras et effectivement, à part une ou deux personnes qui connaissaient une autre œuvre que L’Amant, la majorité m’ont cité ce roman.

Diffusion du film l’Amant

Pour Jean-Jacques Annaud, L’Amant fût son premier film sur l’Asie. D’après lui, « c’est le film qui m’a amené à l’Asie. C’était inconnu pour moi et j’avais une grande incertitude quant à la portée du film dans ce continent. L’histoire est racontée d’un point de vue français. »

Faire revivre l’amant de Marguerite Duras a aussi été très difficile lors du tournage : « J’ai recherché les lieux, retrouvé le chauffeur de la berline, rencontré des parents de cet homme. Fais des enquêtes. Marguerite Duras ne voulait pas que je retrouve les lieux, elle ne voulait pas d’une autobiographie documentaire. En plus, l’acteur qui jouait l’amant n’était pas trop d’accord pour jouer les scènes nues. Il y a une certaine dignité-pudeur à l’écran en Asie. On a du faire beaucoup de travail avec lui. » Ce sont peut-être ces scènes où les acteurs sont nus qui a fait que le film n’a jamais été diffusé publiquement dans les cinémas en Chine. Des projections dîtes « privées » ont lieu dans les universités ou les organismes liés à l’enseignement du français mais le film reste toujours difficile à trouver sur l’internet chinois et les séquences nues sont floutées. Bien sûr, il n’est pas question de faire, vingt ans plus tard, une nouvelle diffusion dans les salles chinoises de ce classique du cinéma, mais le symbole serait assez fort.

 

 

 

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